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Déchirure du Grand Pectoral : Comprendre, Diagnostiquer et Traiter cette Blessure Complexe

La déchirure du grand pectoral est une blessure encore mal connue, mais qui semble devenir plus fréquente avec l’essor des sports de force comme le Powerlifting, le CrossFit ou encore le Street lifting. Longtemps considérée comme rare, cette lésion est pourtant bien plus courante qu’on ne l’imagine, en particulier chez les athlètes pratiquant des exercices de poussée à haute intensité.

Malgré l’aspect et les circonstances parfois évidentes de cette blessure, son diagnostic et sa prise en charge sont souvent peu satisfaisants pour les patients. De récents travaux anatomiques ont révélé des éléments clés qui permettent de mieux comprendre cette pathologie et d’affiner les décisions thérapeutiques. Cet article vise à clarifier les différents types de lésions du grand pectoral, leur impact fonctionnel, ainsi que les options de traitement et de rééducation permettant un retour optimal à la pratique sportive.

 

 

Anatomie Fonctionnelle du Grand Pectoral : Une Révision Nécessaire

Le grand pectoral est un muscle volumineux qui s’attache sur la paroi antérieure du thorax et se termine sur l’humérus. Il se compose de trois faisceaux distincts :

  • Le faisceau claviculaire, qui prend naissance sur la clavicule.
  • Le faisceau sternal avec ses deux portions, une sternale supérieure et une sternale inférieure, qui s’attachent au sternum et aux cartilages costaux.
  • Le faisceau abdominal, qui s’insère sur la partie inférolatérale de la paroi thoracique.

Selon la vision anatomique classique, ces trois faisceaux se rejoignent et fusionnent en formant un tendon. Toutefois, des études anatomiques récentes ont mis en évidence une différence fondamentale dans l’organisation de ces structures : l’insertion distale du grand pectoral est composée de deux tendons distincts :

  • Le tendon deltopectoral (TDP) : il correspond en réalité au tendon du faisceau claviculaire. Il ne participe pas directement à la constitution du tendon du grand pectoral qui s’insère sur l’humérus. Il est de petite taille, oblique vers le bas et vers l’humérus et rejoint le tendon du deltoïde. Ce tendon est moins souvent atteint et son importance fonctionnelle est négligeable.
  • Le tendon du grand pectoral (TGP) : il provient des faisceaux musculaires sternaux et abdominal. C’est en fait le véritable tendon du grand pectoral, et celui qui est véritablement exposé au risque de rupture. Il est beaucoup plus volumineux que le TDP, il mesure environ 30 mm de long sur 45 mm de haut sur 2 mm d’épaisseur. Il constitue donc la principale structure tendineuse impliquée dans les mouvements de poussée lourds et, par conséquent, la partie qui cède dans la majorité des cas de déchirure.

Cette distinction est cruciale, car elle explique pourquoi, dans la plupart des cas de rupture du grand pectoral, le faisceau claviculaire reste intact. L’analyse anatomique permet donc de mieux comprendre la mécanique de cette blessure et d’optimiser sa prise en charge.

Mécanismes de Lésion et Facteurs de Risque

Les déchirures du grand pectoral surviennent presque exclusivement lors de la phase excentrique d’un mouvement de poussée, c’est-à-dire lorsque le muscle est étiré sous charge. Ce mécanisme se produit généralement lors de :

  • Développé couché, particulièrement avec une prise large et une descente excessive.
  • Dips lestés, où la position basse impose un fort étirement du muscle.
  • Sports de combat et de contact, lorsqu’un mouvement violent arrache le bras en rotation interne.

Plusieurs facteurs de risque ont été identifiés :

  • Une technique inadéquate, avec une amplitude exagérée en phase excentrique.
  • Un retour trop rapide après une période d’inactivité, souvent chez des athlètes ayant déjà atteint un haut niveau de force.
  • L’usage de stéroïdes anabolisants, qui induisent un développement musculaire rapide sans adaptation équivalente des tendons.

Classification des Déchirures du Grand Pectoral

Les ruptures du grand pectoral se classent selon leur localisation et leur gravité. Il est essentiel de comprendre qu’elles concernent presque toujours le TGP et plus rarement le TDP (faisceau claviculaire), qui demeure intact dans environ 80% des cas.

Les lésions du tendon deltopectoral (TDP) ne sont jamais isolées et accompagnent dans les 20 % restants les ruptures du TGP. Leur présence ou absence ne change pas fondamentalement la prise en charge thérapeutique qui se concentre sur le TGP.

  • Rupture complète du TGP

Cette lésion peut se produire sur toute la longueur du TGP. De façon schématique il y a 3 cas de figure :

  • Désinsertion complète du tendon au niveau de l’os.
  • Rupture en plein corps du tendon.
  • Rupture du tendon juste avant ou au niveau du début du muscle (jonction myotendineuse).

Dans ces trois cas, la rupture du TGP est le plus souvent complète entraînant la rétraction brutale du muscle. Le potentiel de cicatrisation est mauvais car la rétraction musculaire fait que les deux moignons du tendon rompus ne sont pas en contact et ne pourront pas cicatriser correctement. Ces lésions nécessitent une chirurgie précoce, avec un bon pronostic de récupération.

  • Rupture intra musculaire du TGP à proximité (< 2cm) de la jonction myotendineuse.

Cette lésion est située dans le muscle mais très proche du début du tendon. Elle implique souvent un volume musculaire important. Cette lésion est plus difficile à réparer chirurgicalement, car il n’y a pas de grosse structure tendineuse ou conjonctive à réinsérer. La prise en charge est variable selon l’impact fonctionnel et la demande sportive du patient.

  • Déchirure musculaire partielle du grand pectoral à distance (> 2cm) de la jonction myotendineuse.

Cette lésion est dans la masse musculaire plutôt qu’au niveau du tendon. Plus cette lésion est médiale et proche du sternum, moins elle sera grave. Elle n’est jamais chirurgicale car sa gravité est modérée avec bon potentiel de cicatrisation. La rééducation et l’adaptation de l’entraînement sont à privilégiées.

L’évaluation précise du type de lésion est donc cruciale pour décider du meilleur protocole de traitement.

Diagnostic : L’Importance de l’Imagerie Médicale

Le diagnostic repose sur une association entre l’examen clinique et l’imagerie médicale :

  • Signes cliniques :
    • Sensation de claquement.
    • Déformation visible du muscle avec une rétraction et un « trou » vers l’aisselle.
    • Apparition d’un hématome sur le bras ou sur le muscle pectoral.
    • Diminution de la force en adduction et en rotation interne.

L’échographie est souvent suffisante pour confirmer le diagnostic, à condition qu’elle soit réalisée par un praticien expérimenté. L’IRM peut être utilisée pour préciser l’atteinte, mais elle doit être réalisée avec des coupes spécifiques ciblant l’insertion du grand pectoral, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans les examens d’épaule classiques.

Traitement : Chirurgie ou Rééducation ?

  • Chirurgie (Ruptures Tendineuses Complètes)

Lorsqu’une rupture complète du TGP est diagnostiquée, une intervention chirurgicale est recommandée, avec un taux de succès élevé. L’opération consiste à réinsérer le tendon sur l’humérus.

Protocole post-opératoire :

  • Immobilisation du bras pendant 4 à 6 semaines
  • Rééducation progressive pour restaurer des mobilités normales entre 6 et 12 semaines.
  • Reprise de la musculation légère à 4 mois
  • Retour aux charges lourdes après 6 mois
    • Prise en Charge Conservatrice (Lésions Musculaires et Jonction Myotendineuse)
  • Rééducation progressive pour stimuler la cicatrisation sans provoquer de rétraction excessive.
  • Travail de renforcement des muscles synergiques pour compenser la perte de force.
  • Adaptation des exercices pour limiter le risque de récidive.

 

Les déchirures du grand pectoral sont des blessures qui nécessitent une prise en charge adaptée et rapide. L’évolution des connaissances anatomiques a permis de mieux comprendre cette pathologie, notamment en distinguant clairement le TGP, le plus important sur le plan fonctionnel, le plus souvent atteint et qu’il faut réparer, du TDP tendon deltopectoral, plus rarement concerné et au rôle accessoire.

Si la chirurgie offre de bons résultats pour les ruptures tendineuses, les lésions musculaires posent encore des questions sur la meilleure approche thérapeutique. Une évaluation précise du type de lésion est donc essentielle pour optimiser la récupération et minimiser les séquelles.

L’avancée des recherches et l’expérience clinique continueront d’améliorer la prise en charge de cette blessure, avec pour objectif un retour optimal à la performance pour les athlètes touchés.

Références :

Guerra Bresson, H., Guiu, R., Werthel, JD. et al. Distal insertion of the clavicular portion of pectoralis major muscle: anatomical study. International Orthopaedics (SICOT) 48, 1071–1077 (2024). https://doi.org/10.1007/s00264-023-06083-3

Fung L, Wong B, Ravichandiran K, Agur A, Rindlisbacher T, Elmaraghy A. Three-dimensional study of pectoralis major muscle and tendon architecture. Clin Anat. 2009 May;22(4):500-8. doi: 10.1002/ca.20784. PMID: 19291757.

Kowalczuk M, Rubinger L, Elmaraghy AW. Pectoralis Major Ruptures: Tear Patterns and Patient Demographic Characteristics. Orthop J Sports Med. 2020 Dec 3;8(12):2325967120969424. doi: 10.1177/2325967120969424. PMID: 33330738; PMCID: PMC7720315.

Guiu, Renaud et al. “Muscle grand pectoral : une nouvelle classification des lésions tendineuses et musculaires distales.” Journal De Traumatologie Du Sport 34 (2017): 208-216.

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